Les biais de familiarité ou comment vous recrutez des clones sans le savoir
Mise en ligne le mercredi 01, octobre 2025
Mise à jour le mercredi 01 octobre 2025
On aime à croire que le recrutement est un processus rationnel : on choisit le meilleur candidat pour le poste… et puis basta (enfin basta c’est une façon de parler hein). Mais peut-être avez-vous déjà remarqué que vos nouvelles recrues ressemblent un peu trop à vos anciens collègues : même parcours, mêmes passions, même sens de l’humour (un peu kitch) ? Il y a de grandes chances que vous soyez victime du biais de familiarité.
1. Qu’est-ce que le biais de familiarité ?
Le biais de familiarité, ou affinity bias, c’est cette tendance inconsciente à favoriser ce qui nous est familier. En recrutement, ça se traduit par exemple par :
- Préférer (généralement de façon inconsciente) un candidat qui a fait la même école que vous.
- Aimer davantage quelqu’un qui partage vos hobbies (oui, ce passionné de chistera* peut vous séduire plus que le candidat ultra-compétent mais qui ne partage pas cette étonnante passion, et c’est humain).
- Se sentir “en confiance” avec une personne qui semble penser comme vous simplement parce que notre cerveau perçoit cette familiarité comme rassurante, même si ses compétences n’ont rien à voir avec ça.
En résumé, c’est un peu comme si notre cerveau disait : “Je le connais, je l’aime, prenons-le”, sans se soucier de la diversité des talents et des perspectives. Pas de panique ! C’est un biais humain : on est naturellement attiré par ce qui nous est familier, parce que c’est confortable. Ce qui ne veut pas dire qu’on doit rester prisonniers de cette prédisposition inconsciente : il est possible de le dépasser et de faire des choix plus objectifs (Ouf.).
*À la pelote basque, sorte de gant d’osier, long et étroit, recourbé et qui sert à renvoyer la balle contre le fronton.
2. Pourquoi le biais de familiarité est un problème
Est-ce que vous connaissez la “zone de génie” conceptualisé par Gay Hendricks, psychologue, écrivain et enseignant américain ?
La “zone de génie” correspond aux activités où se rencontrent nos talents naturels et notre plaisir, permettant d’exprimer pleinement notre potentiel. Gay Hendricks distingue quatre zones :
- 1. Incompétence : tâches pour lesquelles nous ne sommes pas qualifiés, à déléguer.
- 2. Compétence : tâches que nous savons faire mais qui ne nous apportent pas de satisfaction.
- 3. Excellence : tâches que nous faisons très bien et qui procurent confort et maîtrise.
- 4. Génie : tâches où nos dons naturels rencontrent nos passions, générant un état de concentration profonde (flow) et une grande satisfaction.
Identifier et vivre dans sa zone de génie permet de déléguer les tâches moins gratifiantes, d’augmenter son bonheur et son efficacité, et d’inspirer positivement son entourage professionnel. Chaque personne a sa zone de génie propre, souvent difficile à repérer, car il est évidemment plus confortable de rester dans sa zone d’excellence.
Pourquoi je vous dis ça ? Vous allez comprendre 👇
À première vue, recruter quelqu’un de familier peut sembler pratique. Mais tout comme rester dans sa zone d’excellence plutôt que de chercher son génie limite l’innovation personnelle, recruter des profils trop similaires :
- Diminue la diversité cognitive et culturelle : vos équipes deviennent homogènes et moins innovantes.
- Reproduis des schémas existants : comme l’illustre Ana Pich dans Chronique de l’injustice ordinaire – une BD documentaire que d’ailleurs je vous conseille vivement, beaucoup d’inégalités se jouent dans l’invisible. Ce que l’on croit neutre peut en réalité renforcer des biais sociaux et professionnels.
- Vous fait perdre l’opportunité d’intégrer des talents inattendus : le candidat qui sort du cadre “classique” risque d’être écarté, même s’il est parfaitement compétent.
En clair : vous risquez de recruter des “clones” et de passer à côté d’autres talents qui vous ressemblent peut-être moins, mais qui sont tout autant qualifiés ! Alors que déléguer et explorer de nouvelles perspectives – dans le recrutement comme dans le travail quotidien – permet de libérer du potentiel insoupçonné et d’éviter de rester enfermé dans des habitudes peu créatives.
3. Comment reconnaître ce biais cognitif ?
Prenez 10 minutes pour analyser vos derniers recrutements : combien de clones y trouvez-vous ? Pour vous aider, voici une petite liste de questions :
- Mes dernières recrues avaient-elles un profil similaire au mien ou à celui de mes collègues ?
- Ai-je tendance à valoriser certaines écoles ou expériences plutôt que les compétences réelles ?
- Mes décisions sont-elles influencées par le feeling plutôt que par des critères objectifs ?
Si je vous invite à vous poser la question, c’est que le premier pas, pour limiter le biais de familiarité, c’est la prise de conscience.
Et si la réponse est “oui” à plusieurs de ces questions, c’est que le biais de familiarité est peut-être à l’œuvre. Alors oui, se regarder (vraiment) dans le miroir professionnel n’est pas forcément facile, ni même agréable mais c’est pour du mieux c’est promis.
4. Comment limiter le biais de familiarité
Heureusement, il existe des solutions concrètes pour limiter les biais de familiarité :
- Former les équipes sur les biais cognitifs pour les rendre visibles et discutables.
- Standardiser le processus de recrutement avec des grilles d’évaluation objectives et, si possible, l’anonymisation des CV.
- Valoriser la diversité dans vos critères d’évaluation : expériences variées, parcours atypiques, profils complémentaires.
- Décisions collectives : faites intervenir plusieurs personnes dans le processus pour contrebalancer les préférences individuelles.
Même de petites mesures peuvent changer la donne et ouvrir la porte à des talents sur lesquels vous n’auriez pourtant pas parié un kopeck !
Le biais de familiarité est invisible mais puissant. Il peut transformer votre recrutement en un jeu de “miroirs”, où vous finissez par recruter des versions légèrement différentes de vous-même. La bonne nouvelle ? En le reconnaissant et en mettant en place des pratiques objectives et inclusives, vous pouvez recruter des talents pour leur potentiel et non pour leur ressemblance avec vous.